dimanche 26 août 2018


La fenêtre




J'aurais menti en disant que c'était par hasard que je rôdais autour de cette maison.


Revenue pour la première fois depuis dix ans dans ce village médiéval où j'avais vécu des heures passionnées et sombres, j'avais la conviction intime de tenter par ce retour une libération totale des fantômes enfermés soigneusement dans leurs boites.


J'étais montée un soir vers le jardin en terrasses, laissant la maison chaleureuse où la nuit une chauve souris volait silencieusement au dessus de mon lit, et où dans la journée, après la sieste des notes de musique s'envolaient délicatement par les fenêtres.


Sur le chemin raide et sec, quelques bruits de conversation paisible arrivaient jusqu'à moi : c'était l'heure de l'apéritif ou tout comme.

Je tombais finalement sur la propriétaire du lieu comme je l'avais espéré : c'était une américaine d'une cinquantaine d'année qui avait transformé la maison en gîte pour pouvoir le louer.

Ce village que j'avais connu presque désert étaient essentiellement habité par des touristes aisés, des artistes ou qui se présentaient comme tels et quelques anciennes familles du crû.

Une femme extrêmement aimable, avec l'aisance sans façon qu'ont les américains riches en Europe et en France. Rien de snob ou sophistiqué dans leur abord , mais comme une certitude qu'on ne peut que les aimer….

Elle ignorait complètement mon lien avec sa maison, et après quelques mots m'incita à la visiter au cas où je serais intéressée pour d'autres vacances.

J'acceptais bien sûr avec cependant une appréhension coupable.

La porte d'entrée, surmontée d'une longue pierre couchée volée à un château en ruines n'avait en rien changé.

En la franchissant je revis immédiatement la petite chouette qui était tombée de son nid 10 ans auparavant , et les commentaires de la sorcière de l'époque qui m'accompagnait, sur les mauvais présages etc….

L'intérieur de la pièce principale dans laquelle on arrivait après le couloir petit et sombre a été repeint en blanc (trop blanc pour cette lumière implacable) La fenêtre est face à moi.


L’aimable dame me dit de prendre mon temps qu'elle a deux ou trois légumes à prendre au jardin. J'approuve sans parler. Je néglige la porte de droite qui mène à une chambre dans laquelle j'avais mis des rideaux de satin bleu, et la porte de gauche près d'une niche dans le mur épais où j'avais posé mes livre,( dans ces vieilles maisons les pièces se commandent comme dans les châteaux de la Loire.)


La petite fenêtre, petite par rapport au volume de la pièce, est face à moi. Je m'en approche et je redécouvre avec émerveillement cette vue à 30 ou 40 km de distance, aux confins du massif central.

Contre tout attente mais pas tout espoir, je me sens paisible. Étrangère à celle qui a souffert ici : oubliés les scorpions qui terrorisaient la fille de la ville que j'étais, oubliés le froid glacial de cet hiver là, oubliés la solitude et le chagrin de l'époque.

Il ne reste en moi qu'une paix puissante et une joie profonde devant la beauté des choses.

Le souffle magique du vent et du paysage me transporte comme la musique de Mozart à laquelle il m'a toujours fait penser.

Quand je pense que j'aurais pu mourir là , quelle bêtise !


La lumière a décru lentement, soulageant la terre et lui permettant enfin les ombres bleutées.


J'entends la propriétaire ouvrir la porte (je savais que le jardin était long à parcourir, tout en terrasses, et difficile d'accès, j'y avais planté des Iris bleus) : tenez me dit elle en me tendant un bouquet de lavande ; elle est toute fraîche on vient de la couper.

Je veux bien le croire : son parfum fort, trop fort, enivrant comme l'alcool, me rappelle un jour d'été où je coupais moi même cette fleur rude et sèche, en compagnie d'un homme dont la tête en avait tournée.

Mais ceci est une autre histoire.


6 commentaires: