La
fenêtre
J'aurais
menti en disant que c'était par hasard que je rôdais autour de
cette maison.
Revenue
pour la première fois depuis dix ans dans ce village médiéval où
j'avais vécu des heures passionnées et sombres, j'avais la
conviction intime de tenter par ce retour une libération totale des
fantômes enfermés soigneusement dans leurs boites.
J'étais
montée un soir vers le jardin en terrasses, laissant la maison
chaleureuse où la nuit une chauve souris volait silencieusement au
dessus de mon lit, et où dans la journée, après la sieste des
notes de musique s'envolaient délicatement par les fenêtres.
Sur
le chemin raide et sec, quelques bruits de conversation paisible
arrivaient jusqu'à moi : c'était l'heure de l'apéritif ou
tout comme.
Je
tombais finalement sur la propriétaire du lieu comme je l'avais
espéré : c'était une américaine d'une cinquantaine d'année
qui avait transformé la maison en gîte pour pouvoir le louer.
Ce
village que j'avais connu presque désert étaient essentiellement
habité par des touristes aisés, des artistes ou qui se présentaient
comme tels et quelques anciennes familles du crû.
Une
femme extrêmement aimable, avec l'aisance sans façon qu'ont les
américains riches en Europe et en France. Rien de snob ou
sophistiqué dans leur abord , mais comme une certitude qu'on ne peut
que les aimer….
Elle
ignorait complètement mon lien avec sa maison, et après quelques
mots m'incita à la visiter au cas où je serais intéressée pour d'autres vacances.
J'acceptais
bien sûr avec cependant une appréhension coupable.
La
porte d'entrée, surmontée d'une longue pierre couchée volée à un
château en ruines n'avait en rien changé.
En
la franchissant je revis immédiatement la petite chouette qui était
tombée de son nid 10 ans auparavant , et les commentaires de la
sorcière de l'époque qui m'accompagnait, sur les mauvais présages
etc….
L'intérieur
de la pièce principale dans laquelle on arrivait après le couloir
petit et sombre a été repeint en blanc (trop blanc pour cette
lumière implacable) La fenêtre est face à moi.
L’aimable
dame me dit de prendre mon temps qu'elle a deux ou trois légumes à
prendre au jardin. J'approuve sans parler. Je néglige la porte de
droite qui mène à une chambre dans laquelle j'avais mis des rideaux
de satin bleu, et la porte de gauche près d'une niche dans le mur
épais où j'avais posé mes livre,( dans ces vieilles maisons les
pièces se commandent comme dans les châteaux de la Loire.)
La
petite fenêtre, petite par rapport au volume de la pièce, est face
à moi. Je m'en approche et je redécouvre avec émerveillement cette
vue à 30 ou 40 km de distance, aux confins du massif central.
Contre
tout attente mais pas tout espoir, je me sens paisible. Étrangère à
celle qui a souffert ici : oubliés les scorpions qui
terrorisaient la fille de la ville que j'étais, oubliés le froid
glacial de cet hiver là, oubliés la solitude et le chagrin de
l'époque.
Il
ne reste en moi qu'une paix puissante et une joie profonde devant la
beauté des choses.
Le
souffle magique du vent et du paysage me transporte comme la musique
de Mozart à laquelle il m'a toujours fait penser.
Quand
je pense que j'aurais pu mourir là , quelle bêtise !
La
lumière a décru lentement, soulageant la terre et lui permettant
enfin les ombres bleutées.
J'entends
la propriétaire ouvrir la porte (je savais que le jardin était long
à parcourir, tout en terrasses, et difficile d'accès, j'y avais
planté des Iris bleus) : tenez me dit elle en me tendant un
bouquet de lavande ; elle est toute fraîche on vient de la
couper.
Je
veux bien le croire : son parfum fort, trop fort, enivrant comme
l'alcool, me rappelle un jour d'été où je coupais moi même cette
fleur rude et sèche, en compagnie d'un homme dont la tête en avait
tournée.
Mais
ceci est une autre histoire.